16 mars 2015

sapeur-demi

il est arrivé en retard, tout de suite à table, et lors nous dégustions dans la cuisine des écrevisses que j'avais étouffées à la vanille, c'est à dire glacis de citron vanillé au service, patates rabotées vapeur pour de courbes vaguelettes, il s'est enquis – "Alors, heureux ?" (de ma cuisinière) – «Ben non.» Je ne m’en prends qu’à moi, manque d’attention aux détails, malaise dans l’achat, auto-obstruction sur quatre vingt quinze – «et mille euros pour un machin ni pensé, ni fini, voire dessiné avant 1947… ok le four est bien. Voilà, c’est ça, j’ai acheté un four mille euros, j’ai plus qu’à foutre tout ça sur le bon coin.» – C’est vrai que t’as jamais su acheter, a-t-il dit en lèchant le caramélisé des crustacés au plat de son assiette puis bousculant le coq et l’âne ajouta – Et le lapin ? – Je me demandais comment ils sont élevés – En batterie, je pense – Comme les poulets, les veaux , les vaches, les cochons ? – Tu imagines quoi ? – Je vois toujours l’empile de clapiers avec les truffes qui gigotent, le chien qui court autour, plus une idée de la virginité. – c’est pas plutôt la fornication – Dans l’antiquité, c’était la virginité parce qu’ils font des petits tellement vite que les grecs qui sont plutôt lents pensaient que ça se faisait tout seul. – Peu importe. – Si tu veux. Pour moi le lapin il ne peut qu’avoir mangé que de l’herbe et des carottes. Y’a pas eu de scandale du lapin, on leur fait pas bouffer leur caca, ni des os de vache. – T’en sais rien! – C’est vrai que j’en sais rien et que samedi dernier je les regardais pas franchement dans la vitrine du tripier qui m’a dit «c’est ezstra! j’vous l’coupe ?». J’ai mis les bouts à revenir dans un peu de gras puis à cuire sur eux-mêmes avec un gros oignon blanc, cinq dents d’ail, suffisamment de romarin et une tranche de lard (tiens, le lard! on aimerait bien qu’il soit tiré d’une bête des plus humaines et façonné par des mains et des intentions pleines d’air pur, de sol sous les pieds, de prévisions météo infaillibles, de services rendus sans compter et d’indicibles attendrissements), sinon qu’à quarante minutes j’ai découvert un peu et avivé la flamme pour que le jus réduise. J’ai écrasé des patates à l’eau et du beurre; au lapin diffusant à l’arrêt, j’ai ajouté du coulis de tomate qui avait chauffé avec le foie dénervé/écrasé du bestiau servi fleuri : bourrache, capucine, perilla, le coulis et le lapin étaient deux douceurs simplement ensemble avec rehausse tempérée des arômes rapportés. L’automne, tu vois. Tout est là ronronnant, apaisé, en partance, immense mais humain. La prochaine fois je fais des pâtes tout à la main, pétrissage, façonnage. – C’est quand la prochaine fois ? – Entre confort, interdits et plaisir – il faut que je le note

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souplesse des cantons

il y avait une essence japonaise en posant sur le riz le revenu à l'huile dans une petite casserole d’un bout de céleri, de betterave, de lard, ail, persil et un anchois, à se demander s’il est exact qu’ils s’embrassent sans la langue



temps caché

beaucoup de vent, d’arbres balancés cherchant à toucher terre leurs centaines de mains vibrant dans une direction, de nuages en répétition d’histoire de la représentation, de pluies inopinées autant qu’aberrantes, de cette main sur la nuque pour l’évidence de sa place, je vais vous raconter ma vie, ma vie en couleurs. J’ai récolté des patates à peau violette et chair veinée de blanc que j’ai faites en omelette, enfin pas exactement, car après qu’elles eurent rissolé j’ai cassé les œufs dans la poêle que j’ai tournée et secouée, le temps que le jaune et l’albumine commencent à figer l’un sur l’autre en un marbre qui au service dans l’assiette fit un amas d’une difformité toute en ciselures chromatiques, en jeu de plis marmoréens lumineux qu’incrustaient les polygones sombres des pommes de terre, j’avais l’apparition d’un tirage unique, d’un canapé en rocaille de mousse dissimulant sa fonction, et comme j’avais la veille essayé une émulsion de persil (c’est à dire un bouquet mixé plongeant avec une dent d’ail, 5 c.s. d’huile d’olive, idem d’eau, sel) au canapé j’ai posé des coussins : extension du domaine de la joie.
Avec les patates il y avait un 300g de haricots borlotto (eux sont veinés de mauve) sauvés d’une débâcle, déjà séchés sur pied, que j’ai mis à tremper quatre heures dans leur double d’eau avec l’idée qu’ils mijoteraient une heure avec deux tomates coupées en quatre, toupet de sauge et de verveine, une dent d’ail, deux grains de sichuan, du sel ; ce qu’ils firent. Mais comme je les laissais s’hydrater, la dernière des capucines cueillies hier (elles étaient plus piquantes à croquer sur place) me regarde pimpante dans son petit verre d’eau, toujours orange voyez-vous, qui tout à l’heure sur un anchois apaisant des passions va se laisser percer la gorge avec la docilité d’un soldat de la sainte croix à Arezzo (tout un mouvement proprement arrêté par le choix de personnages posés dans le groupe posé dans l’image posée sur le plafond, donnant à chacun la fonction du festaiolo indiquant ce qui et comment se passe). Cette fleur savait ce qui est dans cette pièce où j’étais. La verveine a gentiment citronné les fayots avec cette très lointaine touche exhaussante, grasse, gluante comme le gombo qu’elle a, et belle teinte rosée en accueil parfait des picots jaune vif des ombéllifères de fenouil.

Plus tard, mes jambes dans ses pieds, la tête pendante hors du lit, j’ai vu à l’ombre du sommier un caillou chéri que j’avais depuis si longtemps égaré. Je vous raconte ma vie.

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