24 déc. 2012

place de l'égalité


je n’ai pas réfléchi, j’ai laissé faire, je me suis laissé me faire, j’ai gratté une carotte, émincé quatre champignons de paris, une échalote, je les ai fait fondre à couvert et feu doux dans une poêle à l’huile de pépins de raisins. Je me suis dit: «Tu utilises beaucoup la poêle, il faudrait revoir toutes les fois où tu as écrit “dans une poêle”, mettre à jour le système (également décrire l’espace, le chemin entre la table et le frigo, le lien d’esprit qui va de l’un à l’autre et advient dans un plat)». J’ai mis l’andouillette de canard dans une petite casserole avec un bout, un truc qui pour tous est un bout, en l’occurrence ici de céleri branche, et le reste d’un vin blanc lambda rapporté d’ailleurs. Le saucisson baignait bêtement avec son copain le bout, je les ai laissé discuter à feu très doux pendant que sous le couvert de la poêle ça fondait le temps que je fasse autre chose – étendre du linge peut-être, gratter un amas minéral au-dessus de la plinthe du couloir, relire un passage de La Fabrique de l’homme endetté et me demander si ce temps-là que je prends pour cuire ça était une prise de crédit qui faisait de moi un débiteur projeté dans la mémoire de son futur –. À mon retour, le vin blanc frissonnait, les légumes semblaient cuits, j’ai versé le liquide, l’andouillette et le céleri dans la poêle et feu fort jusqu’à ce que plus de jus, j’ai fini d’un gros prout! de crème semi-épaisse et ce qui m’a plu, ce qui a placé ce frichti sur le podium magnanime de ma gourmandise, ce n’est pas le bout de céleri al dente comme un virage sur une route à travers des marais, c’est que je n’ai pas mis de sel, jamais, celui du vin blanc et celui de l’andouillette ont suffit. C’est aussi que je n’ai pas mélangé la crème que j’ai laissé diffuser dans un coin, d’abord de la poêle puis de mon assiette, que ce havre-ci relevait le champignon de la chose et apaisait l’acide de l’axe carottevinblanc, j’allais de l’un à l’autre en passant par l’élasto-fondant des abats, j’allais de l’un à l’autre la tête toujours un peu plus près de la table comme un héros qui petit à petit découvre des habitants dans les rainures du bois, en tombe amoureux, veut les rejoindre, rapetisse sur son tabouret, se prend un taquet par sa sœur ainée qui l’élève depuis la mort de leurs parents. Et puis j’ai eu envie de riz au lait.
Le soir, à la terrasse du bar du Marché, tout le monde parlait de sexe. Vous, vous buvez de la bière, vous buvez de la bière, vous buvez de la bière, vous buvez de la bière, vous buvez de la bière, vous buvez de la bière.

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