1 sept. 2013

train de nuit


Elle a dit: «On commence avec un potage sans eau, tu vois une façon de salade chaude avec quinoa, lentilles, gingembre, carottes et persil.» L’idée était de valider cet air du En moins sur lequel nous flottons depuis quelques mois, qui passe par pas de temps et pas d’argent, une vraie dèche quand on sait que l’un est l’autre, et nous voulions déposer sur la table de la grande arrière-salle en fonction de loge plusieurs plats qui iraient au plus simple, qui chauds ou froids agiteraient une double impression de dénuement et d’opulence, non pas pour mentir ou tromper mais pour perdre et troubler: se repaître d’une série de poignées d’herbe et d’un ensemble de verres d’eau. On s’est imaginé restreindre un bouillon en arrêtant au premier remous une carotte, deux navets, trois branches de céleri, quatre de persil, laurier, un piment doux et quelques centimètres de gingembre (un ami qui passait me demande si j’en ai déjà mangé du frais, «quand il est tout blanc, les tiges ont la consistance des cœurs de palmiers, le goût d’un citron en cavale») dans 2,5 litres d’eau et laisser refroidir jusqu’au soir, les légumes cuisent et infusent au calme, on les imaginait sur les transats du pont supérieur d’un transat. On a réservé le bouillon qui avait le doré d’une pisse irréelle pour un risotto au simple coriandre ajouté à la fin après le parmesan, dont les grains translucides luminaient dans un liant de blanche opale — un eet dû au tiède qu’il fut délicat de maintenir au service. Les légumes moulinés restèrent une soupe. On a fait sécher dans une poêle à feu minimum le vert des poireaux et des oignons émincés pour en tirer tout le craquant, cerise pour une salade de carottes râpées gros et poivrades crues dont on essaye (et ici réussit) de garder le maximum du comestible (chair, feuilles et poils de la fleur) qu’on coupe et recoupe en petits bouts kaki et violets qui s’oxydent vite au brun et posent leur métal réglissé auprès du glissant acide de la vinaigrette de pommes et pépins de raisins. On a ajouté une c.c. d’armagnac. Comme le four est en panne, on a gratiné dans une sauteuse 35 min couvert feu doux, des couches successives de pommes, de poires, d’oranges en tranches sans épluchage, séparées d’un mélange de cassonade, amandes pilées, cardamome et piment, en accompagnement des faisselles de chèvre qu’une cousine de passage à Paris nous posa. Les convives manquèrent se battre, les beaux usages furent rappelés, chacun admettant qu’avec cette entre-saison qui dure on a comme dans un pull interminable parfois un peu peur.

<pas de visuel>

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire